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KEYES (D.), Des fleurs pour Algernon, Paris, J'ai lu, 2001. |
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PAGE (M.), Comment je suis devenu stupide, Paris, J'ai lu, 2002. |
L’intelligence, qu’est-ce que c’est ? Émile Littré la définit comme
suit : « Qualité de ce qui est intelligent ; faculté de
comprendre. » Mais finalement, c’est quoi être « intelligent »? Est-ce que
le niveau d’intelligence est fixé dès la naissance? C’est quoi, être un « génie
»? Sommes-nous tous intelligents de la même façon?
Un singe qui résout un problème pour attraper
une cacahuète et qui trouve la solution peut être considéré comme intelligent.
Or, si un humain résout le même problème, il ne sera pas considéré comme
quelqu’un de plus futé qu’un autre. L’intelligence est le résultat du bon
fonctionnement de différentes fonctions cognitives : on parle donc
d’intelligences au pluriel. Selon les psychologues, l’intelligence est
la capacité à avoir un comportement dirigé vers un but. Donc, en principe
si un homme trouve la solution à un problème pour avoir une cacahuète, il est
considéré scientifiquement comme étant intelligent, doué de raison.
Pourtant, dans les faits, ce n’est pas si simple. L’intelligence est maintenant soumise à des critères et est « mesurable » au moyen de test de QI. Toutefois, ces tests ne sont pas socialement neutres : en effet, ils évoluent en fonction des populations de référence. Les tests QI ne montrent pas la créativité, l'adaptation sociale, la capacité à gérer les émotions, etc. L’intelligence est donc dépendante de la société et tout acte sera considéré comme intelligent si et seulement s’il est adéquat à la situation.
Pourtant, dans les faits, ce n’est pas si simple. L’intelligence est maintenant soumise à des critères et est « mesurable » au moyen de test de QI. Toutefois, ces tests ne sont pas socialement neutres : en effet, ils évoluent en fonction des populations de référence. Les tests QI ne montrent pas la créativité, l'adaptation sociale, la capacité à gérer les émotions, etc. L’intelligence est donc dépendante de la société et tout acte sera considéré comme intelligent si et seulement s’il est adéquat à la situation.
Je ne dis pas que les troubles de
l’intelligence, comme les personnes arriérées ou autres, n’existent pas; je dis
que l’interprétation sociale (et non scientifique) du mot
« intelligence » devrait être revue.
Vous vous demanderez quelle est la raison de cette
introduction un peu ennuyante. Je voulais simplement repréciser les choses
avant d’aborder la comparaison de deux romans :
- KEYES (D.), Des
fleurs pour Algernon, Paris, J’ai lu, 2001.
- PAGE (M.), Comment
je suis devenu stupide, Paris, 2002.
Avec Des fleurs pour Algernon, nous
sommes plongés dans la vie de Charlie Gordon, un adulte arriéré. Il va être
pris comme sujet pour une étude chirurgicale quant à l’amélioration des
capacités cognitives et va servir de cobaye à une opération. L’essai a déjà été
mené : Algernon, une ratte, résout maintenant des labyrinthes de plus en
plus complexes sans se tromper. L’opération se passe sans souci. Commence alors
pour Charles une montée dans les sphères de la connaissance : il apprend
vite et retient tout. Pourtant, comme pour toutes choses, l’intelligence a un
prix. Un jour, les facultés d’Algernon commencent à décliner et la ratte finit
par mourir. Comment faire quand on a conscience de son déclin ? Charlie
continue à vivre, comme il peut.
Dans Comment je suis devenu stupide,
Antoine, le protagoniste, n’en peut plus de son intelligence. Il est diplômé
dans de nombreuses filières, mais sa capacité à penser lui gâche l’existence.
Il décider d’arrêter de penser... mais comment faire ? L’alcool ne lui va
pas : il fait un coma éthylique après son premier verre ; la mort ne
le tente pas... Il ne reste que l’acte suprême : devenir stupide. C’est
sous Heurozac que commencent sa nouvelle vie et ses nouveaux passe-temps.
Pourquoi avoir choisi de comparer ces deux
textes ? Pour la simple et bonne raison qu’ils mettent tous les deux en
avant les vices de l’intelligence. Alors que l’un rêve de devenir intelligent,
l’autre souhaite vivre bête.
Dans les deux romans la même structure est utilisée,
mais est l’un est forcément l’opposé de l’autre : Charlie passe de l’état
d’arriéré mental à l’état de génie, pour retourner à l’état d’arriéré
mental ; Antoine passe de l’état de génie à la bêtise, pour en revenir à
l’état de génie.
Les deux personnages sont pris d’hallucinations à un
moment ou l’autre de l’histoire. Charles croit voir Charlie – c’est-à-dire lui
avant l’opération – à travers une fenêtre à différents moments
importants ; Antoine, quant à lui, finit par voir le fantôme de Dany
Brillant.
«- Erreur, Tony : je suis le fantôme de Dany.
- Dany Brillant est mort ?
- Non.
- Alors comment pouvez-vous être son fantôme ?
- Je suis un fantôme prématuré. Ça arrive. Je n’apparais que quand le
Dany Brillant vivant dort.
- Vous plaisantez.
- Hé nan, Tony. Touche-moi.
[...]
- J’ai compris, dit Antoine en se reculant, vous êtes un pervers. »
PAGE (M.), Comment je suis
devenu stupide, Paris, J’ai lu, 2002, p. 109.
Je profite de ce court extrait pour mettre en avant
une des différences fondamentales des deux récits : l’humour. Le texte de
Martin Page est rempli d’humour noir et de comique de situation ; la
lecture n’en est que plus agréable. En effet, même si Antoine utilise des
termes techniques, même si des théories et des descriptions scientifiques
trouvent leur place, le roman est léger et c’est un véritable plaisir de le
lire surtout pour les amateurs d’humour fin. « SPTPTM, Suicide pour tous
et par tous les moyens, bonjour ! [...] Il n’y a pas de cours cette
semaine suite à la merveilleuse pendaison du Pr. Edmond... »
Le roman de Keyes est beaucoup plus sérieux. Nous
suivons à tout moment le traitement de Charlie et ses effets ; le
ressenti, parfois douloureux, du « nouveau génie »... Tous les mots
sont pesés avec soin et en deviennent parfois pesants. Malgré cela, ce travail
stylistique joue en faveur de l’histoire. Puisque le roman est en fin de compte
le journal intime de Charlie, nous pouvons voir sa progression (moins de fautes
d’orthographe, utilisation de la ponctuation, etc.) vers son apothéose
(vocabulaire très varié, etc.) pour en finir, comme susdit, à son déclin
(disparition de la ponctuation, réapparition d’une orthographe oralisée, etc.).
Le sérieux du livre Des fleurs pour Algernon joue
aussi avec l’empathie du lecteur. Les dernières pages sont douloureuses à lire
parce qu’on a l’impression d’avoir accompagné Charlie du début à la fin d’une
vie, celle où il était l’Homme le plus intelligent de la Terre.
Une autre différence fondamentale entre les deux
récits de vie est le genre et, de fait, la manière dont ils sont narrés. Comment
je suis devenu stupide est là biographie fictionnelle du personnage
d’Antoine ; l’histoire est racontée au moyen du pronom personnel
« il ». Des fleurs pour Algernon est un journal
intime fictionnel lui aussi et se base sur l’utilisation du « je »
intime. Nous avons donc, d’un côté, l’histoire objectivée d’un homme stupide
et, de l’autre, l’histoire subjectivée d’un homme intelligent.
De nombreux autres points de comparaison pourraient
être soulevés entre ces deux romans, comme le rapport du protagoniste avec les
relations sexuelles ; la gestion des sentiments ; le rapport à
la religion ; etc. Toutefois, je les laisserai de côté pour le moment...
Selon moi, l’essentiel est dit.
Je terminerai en disant que ces deux romans montrent bien
la subjectivité de l’intelligence comme j’essayai de l’aborder au début de
cette comparaison. Charlie n’était-il pas plus intelligent qu’Antoine en
voulant travailler et en voulant se dépasser. Cependant, n’était-il pas plus
bête qu’Antoine de le faire pour plaire inconsciemment aux attentes de sa mère,
dont il n’avait plus de nouvelles depuis 17 ans ?
Antoine Tintin ■
"Vous vous demanderez quelle est la raison de cette introduction un peu ennuyante." Mais non Antoine, pas ennuyante du tout !! Une introduction réfléchie qui incite à lire la suite...
RépondreSupprimerUn début d'analyse intéressant Antoine... Je n'ai encore jamais lu ce livre, ce sera fait dans les prochains mois !
RépondreSupprimerJe pense qu'au delà de la question de l'intelligence, il y a aussi la question de la connaissance qui est posée. Tout connaître, tout comprendre mène-t-il au bonheur ? Et, finalement, qu'est-ce qu'être heureux ?...
Pour "Les Fleurs", il s'agit d'un véritable questionnement ontologique...
Antoine ton article est génial! Franchement, j'ai hâte d'avoir fini Martin Page, il m'a l'air tellement drôle :D (C'est cha mais j'sais pas le mettre)
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