dimanche 3 février 2013

Sordide(bor)

MOLLA (J.), Sobibor,
Paris, Gallimard, coll. : " Scripto", 2003.

 "On ne peut pas oublier son passé , koteczku, même si aujourd'hui je suis tellement heureuse." (p.78)

LA DÉCOUVERTE

     La première chose qui m'a frappée lorsque j'ai pris le livre en main, c'est la simplicité de sa couverture. Il est blanc, sans fioritures... si ce n'est une représentation de la plaque de Sobibór, un camp d'extermination nazi. Le nom de l'auteur apparaît avec une police du style manuscrite. Les deux derniers éléments présents sur cette première de couverture sont le nom de la maison d'édition "Gallimard" et le nom de la collection "Scripto". Quoi qu'il en soit, cette couverte est simple et dépourvue de couleurs vives. Est-elle en rapport avec le contenu du livre? 

     Comme usuellement, je retourne le livre pour me pencher plus sur la quatrième de couverture. Toute aussi blanche, elle ne déteint pas avec le côté face du livre. Quelques éléments essentiels sont présents : le nom de la maison d'édition, le nom de la collection, le code barre, le code ISBN et l'adresse internet de Gallimard. Un avis sur l'écriture de l'auteur et sur le livre en tant que tel nous est offert : il semblerait que Sobibor est un "récit poignant, incisif et sans compromission". Je jugerai de ces trois qualificatifs lors de ma lecture. 

     Maintenant, je lis le résumé apéritif de l'ouvrage : "Je l'ai fait pour qu'on m'arrête", répond Emma après avoir volé des biscuits dans un supermarché. Que se cache-t-il derrière ses mots, sa maigreur extrême, sa beauté douloureuse? Quelle est l'origine de son anorexie : l'indifférence de ses parents, le silence, les mensonges savamment entretenus? Emma veut savoir. Emma veut comprendre. La découverte d'un vieux cahier fera bientôt surgir du passé d'épouvantables secrets". 

 
    C'est ainsi que ma lecture commence...

CHAPITRE UN

     Le chapitre un est déjà assez éprouvant en lui-même. Je ne peux pas nier l'effet que ces quelques pages ont sur moi; peut-être suis-je trop sensible ou peut-être est-ce la manière dont Molla m'amène à plonger dans le trouble du comportement alimentaire d'Emma. Quoi qu'il en soit, l'émotion me submerge déjà. Quelle(s) est/sont la/les cause(s) de l'anorexie d'Emma? Et quelle est cette pièce dont elle rêve? Sans vouloir faire un jeu de mots assez cru ou ironique, je me réjouis de dévorer les pages suivantes. 

CHAPITRE DEUX

     Le chapitre deux est moins éprouvant. Toutefois, les secrets commencent à être révélés et mon attention, quant à elle, est suscitée. Le fameux Jacques... qui est-il? Serait-ce le gardien du camp qui a tué Eva et son fils au tout début du livre? J'aime beaucoup le suspense, mais là... mille questions se posent et je risque de devenir fou (il me reste encore 150 pages à lire). Quand on tombe dans les secrets de famille, on ne sait jamais jusqu'où ceux-ci vont nous conduire. 

CHAPITRE TROIS

    Le chapitre trois est synonyme de la découverte de Jacques. En effet, nous faisons sa connaissance à travers le début de son journal intime. Quoi qu'on en pense, je trouve que c'est un bon vieux salaud ; il va même jusqu'à renier son identité française pour intégrer le projet nazi. Toutefois, j'ai beaucoup aimé toutes les traces de factualité (des noms, des groupes... Et même les désignations allemandes). 

    Lors de ma lecture, un petite pensée m'a traversé l'esprit: pourquoi ne pas envisager une lecture "comparative" de ce chapitre avec un chapitre de La mort est mon métier de Robert Merle. Jacques n'est-il pas également étonné qu'on l'ait choisi pour faire partie du "grand tout"?

- Vous avez l'air effaré. Pourtant, l'idée d'en finir avec les Juifs n'est pas neuve.
- Nein, Herr Reichsfürher. Je suis seulement étonné que ce soit moi qu'on ait choisi..."

     Une autre piste pédagogique serait une mise en réseau de Sobibor et du Journal d'Anne Frank. On pourrait ainsi avoir une vue d'ensemble, semi-fictive certes pour Sobibor, quant au vécu de la guerre, des camps, etc. Les extraits du journal de Jacques Desroches et ceux d'Anne Frank permettrait une appréhension de la factualité dans le journal intime, etc. À essayer.  

CHAPITRE QUATRE

    Emma le retour ! J'ai enfin un début de réponse à la question qui me taraude depuis le début du livre : qu'est-ce qui a poussé Emma vers sa déchéance ? Son copain, bien sûr (T'es un peu ronde); le début de l'adolescence et la difficulté d'accepter, de s'habituer à notre corps qui semble ne plus nous appartenir; le décès de sa grand-mère qui est vraiment l'évènement qui va la pousser à se faire vomir... Et cet acte va apporter à Emma tellement de réconfort. Je ne suis qu'au chapitre quatre, mais cela devient de plus en plus difficile de lire progressivement et de donner mon ressenti après chaque chapitre, ici dans mon carnet de lectures. Je vais essayer de tenir le plus longtemps possible... Quoi qu'il en soit, une empathie envers Emma est en train de prendre le dessus. Jusque quand durera-t-elle? 

CHAPITRE CINQ

    Le chapitre commence à l'enterrement d'Anna. Emma se pose des questions sur les gens présents. Qui étaient ces visages inconnus, ces personnes qui me prenaient dans leurs bras et me présentaient leurs "sincères condoléances"? Le chapitre me semble insipide... rien ne se passe vraiment. On se souvient et c'est par volonté de Mémoires qu'Emma va questionner son grand-père qui, cela va de soi, va chercher à dissuader l'héroïne de poursuivre sa quête... Il se bat vai-ne-ment !  

CHAPITRE SIX

    Sauf erreur de ma part, c'est dans le chapitre six qu'apparaît pour la première fois le terme "anorexie". D'un autre côté, des indices étaient dispersés jusque là dans le texte et menait à cette conclusion. De nouveau, un chapitre plus léger (sans mauvais jeu de mots) où Julien, l'ex d'Emma, essaye de lui montrer qu'il l'aime toujours. J'en retiendrai surtout un extrait : Au fur et à mesure que je perdais du poids, je m'étais allégée de ce qui m'encombrait; je m'étais désintéressée de ce qui faisait de moi une femme. Molla retrace ici, d'une manière subtile, le prix le plus élevé de l'anorexie : le malade - l'anorexie, comme la boulimie et l'hyperphagie, est considérée comme un trouble des conduites alimentaires - s'enfonce dans une addiction qui le rend léger à tous niveaux... comme si le fait de perdre des kilos ne permettait plus de supporter le poids du bonheur. 

CHAPITRE SEPT

    Molla, veux-tu vraiment que je m'endorme? Aucune action, si ce n'est celle de prendre un bain. Emma nous livre une petite réflexion qui tente de justifier le prix de l'anorexie : anorexie, ataraxie, oubli. Mon tiercé gagnant. Ataraxie et anorexie ne sont pas si différents... si tu le dis. 

CHAPITRE HUIT

    Enfin, l'action recommence. Emma aide sa mère à enlever les affaires d'Anna... Rien de bien spécial, jusqu'à la découverte... "oui, mon Dieu oui"... du journal de Jacques. Pourquoi a-t-elle conservé le journal? Avec Emma, je m'apprête à découvrir le passé d'Anna. 

CHAPITRES NEUF, DIX ET ONZE

    J'ai honte de moi, j'attendais désespérément de lire la suite des écrits de Jacques. Si seulement j'avais su... Il nous décrit ses fonctions à Sobibor, le fonctionnement des chambres à gaz, la suprématie de la race aryenne.  Cette vision qui était désormais la mienne. Et l'Endlösung, la solution finale, me semble aujourd'hui le seul et l'unique moyen d'y parvenir. L'horreur s'accroît au chapitre onze: le camp doit s'agrandir pour pouvoir éliminer plus de juifs encore. Ils trouvent des solutions dont ils sont fiers... Ce n'est pas tant l'écrit de Molla qui me dégoûte, mais l'idée que derrière cette fiction se cache des pensées et des actions qui ont été ou ont dû être réelles. Une de mes hypothèses est confirmée : Jacques est bien le SS qui a tué Eva et Simon. 

   Un jour, lors de l'arrivée d'un train de nouvelles victimes, Jacques croise le regard d'un homme et est troublé. De cette rencontre, un mot survivra : ZAKHOR.

   Dans cette horreur, un peu d'amour. Jacques rencontre Anna, une jeune polonaise. Il va en tomber éperdument amoureux. Il devra, bien entendu, justifier cet amour aux yeux de ses supérieurs... Heureusement pour lui, Anna a des aïeux allemands et qu'elle vient d'un milieu social convenable. Ils vivent le "parfait" amour - Anna, aveuglée par ses sentiments, essayera de nier naïvement le côté de Jacques le moins humain. Pour elle, il est Jacquou le Craquant. Elle tombera enceinte, mais perdra l'enfant. Elle finira par s'enfuir. Jacques Desroches, quant à lui, trouvera la mort le 03 juillet 1943. 

CHAPITRE DOUZE

    De par sa lecture, Emma est confrontée à une série de questions. Pourquoi? Comment? Quand les secrets de famille commencent à tomber, tout le monde est remis en question et jugé. Emma perd confiance en tout ce qu'elle croyait être vrai. Comment sa Mamouchka a-t-elle pu s'associer à ce monstre sans sourciller? 

     Emma découvre également dans une double couverture du journal des photos : une d'Eva Hirschbaum (morte  le 21 mai) et une de Jacques. Et tout s'éclaire dans sa tête : elle reconnaît ce visage. Mais qui est-ce? Pendant un instant, j'ai pensé à son grand-père... Puis je me suis souvenu qu'elle ne reconnaissait pas tous les visages à l'enterrement de sa grand-mère. Jacques serait-il toujours en vie? Sous le poids de cette découverte, Emma essaye de se suicider. 

CHAPITRES TREIZE ET QUATORZE

      À l'hôpital, Emma se remet tout doucement de sa tentative de suicide. Emma se penche sur sa vie, etc. Elle interroge ses parents sur l'origine de son prénom : sa mère lui avoue que c'était un souhait d'Anna. Elle en conclut directement que la proximité phonémique entre Emma et Eva prend tout son sens. Serait-ce une tentative de pardon? 

     Emma commence à m'énerver : elle est d'un égocentrisme incroyable. Pour elle, tout tourne et se ramène toujours à elle. Et elle décide de voler dans un magasin (voir chapitre 1)... Je l'ai fait pour qu'on m'arrête.

CHAPITRE QUINZE

     Emma retourne au magasin pour voir le directeur. Pas tant pour s'excuser, mais pour trouver des réponses. Elle lui demande conseil... Il lui recommande d'aller trouver un magistrat. 

CHAPITRES SEIZE, DIX-SEPT ET DIX-HUIT

     Boum ! La bombe explose. Emma va chez son grand-père et pour... une raison totalement mystérieuse... elle monte dans la salle de bain se déshabiller avant de redescendre nue. Elle va s'asseoir près de lui et lui pose, de manière très aggressive, la question suivante : Que veut dire "zakhor"? La pièce est tombée et je comprends enfin... Finalement mon hypothèse n'était pas totalement fausse... Jacques Desroches = Karl Frank = Paul Lachenal. Le grand-père d'Emma est le monstre dont nous avons lu le journal. 

     Jacques commence alors à raconter son histoire, sa fuite organisée par les services secrets allemands, son amour pour Anna, etc. 

    Emma n'attend pas une seconde pour recommencer à l'insulter, à le violenter sans chercher vraiment à discuter. Je n'ai qu'une seule envie : coller une bonne baffe à Emma et  lui demander de se taire deux minutes. Mais non, elle continue... Et accuse son grand-père d'être celui qui l'a rendu anorexique, celui à cause de qui elle est comme cela. Elle ne lui laisse aucune chance : des copies de son journal ont été envoyées à différents journaux et au magistrat. Il doit se dénoncer ! 

CHAPITRE DIX-NEUF

     Last but not least. J'ai vraiment l'impression qu'Emma vit le parfait bonheur maintenant que les secrets ont été découverts et que sa famille va exploser. On apprend le décès de son grand-père et Emma ne sourcille même pas. Jacques/Karl/Paul était le personnage le pire du roman, mais Emma se révèle être sans coeur : pas une seule goutte à l'annonce de la mort de son grand-père. Qui est-elle pour juger? Qui est-elle pour dire ce qui est bien ou ne l'est pas? Elle n'a pas vécu pendant la guerre, elle n'a pas connu l'horreur de la guerre... Et elle pense être le centre du monde et se croit en mesure de réparer l'irréparable. Franchement, je suis déçu. N'allez pas penser que je suis d'accord avec les actes de Jacques, mais pensons au contexte de l'époque. Pensons aussi à quel point l'être humain est manipulable (expérience de Milgram).

L'AVIS

     Les amateurs de secrets de famille, de trahison, de guerre et autres penchants douteux y trouveront leur bonheur. Voilà la première approche du livre. Attention, si le livre se limitait à cela, je ne pense pas qu'il plairait tant au lectorat adolescent. 

     Penchons-nous un peu plus sur l'histoire et sur les faits relatés. Sobibor est un cri contre la guerre et ses dérives, contre les crimes raciaux et l'horreur, mais aussi une manière de sensibiliser le jeune lecteur à la difficulté de vivre dans les secrets et de le sensibiliser à la différence. C'est surtout un moyen de se souvenir et de prier pour que ja-mais cela ne recommence ! Le vieil homme juif ne s'est pas adressé qu'à Jacques: il parlait à Anna, à monsieur et madame Lachenal, au directeur du magasin, à vous, à moi ! 

 "Zakhor... souviens-toi". 


Antoine Tintin  

1 commentaire:

  1. "une lecture "comparative" de ce chapitre avec un chapitre de La mort est mon métier de Robert Merle" : ce serait en effet, une excellente idée. Même si les deux récits ne sont pas de la même difficulté...
    "cela devient de plus en plus difficile de lire progressivement et de donner mon ressenti après chaque chapitre" : oui... c'est un exercice difficile, mais surtout frustrant !
    "Qui est-elle pour juger? Qui est-elle pour dire ce qui est bien ou ne l'est pas? Elle n'a pas vécu pendant la guerre, elle n'a pas connu l'horreur de la guerre... Et elle pense être le centre du monde et se croit en mesure de réparer l'irréparable." : si personne ne se responsabilise vis-à-vis de ces actes, qui le fera ? Si tout le monde se tait, accepte, nous sommes dès lors condamnés à l'oubli et à la récidive...
    Elle est la petite-fille d'un bourreau ; d'un grand-père certes, mais aussi d'un bourreau... c'est dans l'homme que réside le monstre, il ne faut pas l'oublier. L'homme est monstrueux, et si personne ne dénonce cet état, il réapparaîtra.
    Le bien et le mal ne sont pas des notions qui appartiennent à une élite, ce sont des concepts que tous intègrent (que tous doivent intégrer), tuer son prochain (peut importe la raison), c'est mal (pour le dire simplement), Emma doit donc le dire.
    "N'allez pas penser que je suis d'accord avec les actes de Jacques, mais pensons au contexte de l'époque. Pensons aussi à quel point l'être humain est manipulable (expérience de Milgram)." : le contexte ? Certes, nous ne savons pas ce que nous aurions fait en ces temps troublés... mais après... Un notable, doué de raison et intelligent se devait de réagir... Et de ne pas vivre dans le mensonge, la lâcheté et la trahison. Il a probablement été manipulé, mais il faut reconnaître cette manipulation, et s'en détacher. Comment le faire autrement qu'en se dénonçant ?

    Un livre qui suscite la polémique ! Tant mieux !

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